- [...] j'ai cru comprendre que la dignité est le droit à la vie que vous confère la société.
(p.9)
- Où est-il écrit que l'attitude éclairée doive renoncer à l'émotion ? C'est le
contraire qui me semble vrai.
(p.20)
- La question qui s'impose, réduite à sa plus simple expression, est la suivante:
la culture et la disposition fondamentalement intellectuelle ont-elles servi le
détenu dans les moments cruciaux ? L'ont-elles aidé à sortir de l'enfer ?
(p.29)
- [dans les camps de concentration] Mais l'intellectuel se révoltait devant
l'impuissance de la pensée, car au début il s'en remettait encore à cette
sagesse folle et rebelle selon laquelle "ce qui n'a pas le droit d'exister ne
peut exister".
(p.39)
- Je ne voulais pas être au nombre de mes camarades croyants, mais j'aurais aimé
être comme eux : inébranlable, tranquille, fort. Ce que j'ai cru comprendre
m'est apparu de plus en plus comme une certitude : l'homme croyant au sens le
plus large du terme, que la foi qui l'anime soit métaphysique ou fondée sur une
immanence, se dépasse lui même. Il n'est pas prisonnier de son individualité,
il fait partie d'un continuum spirituel que rien n'interrompt, même à
Auschwitz.
(p.45)
- ...si l'homme libre confronté à la mort est capable d'adopter une certaine
attitude mentale, c'est que pour lui la mort ne se confond pas entièrement avec
les affres de l'agonie.
(p.52)
- On ne contemple pas le spectacle de l'homme déshumanisé, qui réalise ses
exploits ou ses crimes monstrueux, sans que tous les concepts innés de la
dignité humaine soient remis en question.
(p.56)
- Quand on parle de torture il faut bien se garder d'en remettre. Le traitement
qui me fut infligé dans l'innommable cave voutée de Breendock n'était
certainement pas la torture dans sa forme la plus atroce. Néanmoins,
vingt-deux ans après que cela s'est produit, j'ose affirmer, en me fondant
sur une expérience qui n'a pourtant pas sondé toute l'étendue du possible, que
la torture est l'événement le plus effroyable qu'un homme puisse garder au fond
de soi.[...]
(p.61)
- .. en dehors de toute expérience personnelle, je suis convaincu que pour le
Troisième Reich la torture n'était pas un accident : elle en était l'essence
même.
(p.64)
- Le premier coup fait comprendre au détenu qu'il est sans défense, et que
ce geste renferme déjà tout ce qui va suivre à l'état embryonnaire.
(p.70)
- Bien peu de choses sont dites, quand un homme qui n'a jamais été battu émet la
constatation éthico-pathétique q'avec le premier coup reçu le prisonnier perd
sa dignité humaine. Je dois avouer que je ne sais pas exactement ce qu'est la
dignité humaine.[...] Je ne sais donc pas si celui qui est roué de coups par la
police perd sa "dignité humaine". Mais ce dont je suis certain c'est qu'avec
le premier coup qui s'abat sur lui, il est dépossédé de ce que nous appellerons
provisoirement la confiance dans le monde.
(p.71,72)
- Les frontières de mon corps sont les frontières de mon Moi. La surface de ma
peau m'isole du monde étranger : au niveau de cette surface j'ai le droit, si
l'on veut que j'aie confiance, de n'avoir à sentir que ce que je veux sentir.
C'est comme un viol , un acte sexuel commis sans le consentement de l'un des
deux partenaires.
(72)
- L'attente d"une aide extérieure est un élément constituant du psychisme au
même titre que la lutte pour la vie. [...] Dans presque toutes les situations
de la vie la blessure physique va de pair avec l'attente d'une aide extérieure
: la première est compensée par la seconde. Mais avec le premier coup de poing
du policier contre lequel il n'y a pas moyen de se défendre et que ne viendra
parer aucune main secourable, c'est une partie de nore vie qui s'éteint pour ne
jamais plus se rallumer.
(p.73,74)
- La torture n'est pas une invention du national-socialisme. Pourtant elle en fut
l'apothéose.
(p.77)
- [...] il nous fut encore ajouter à titre explicatif que la torture a un
caractère indélébile. Celui qui a été torturé reste un torturé. La torture est
marquée dans sa chair ay fer rouge, même lorsque aucune trace cliniquement
objective n'y est plus repérable.
(p.83)
- Si ce qui reste de l'expérience de la torture peut jamais être autre chose
qu'une impression de cauchemar, alors c'est un immense étonnement, et c'est
aussi le sentiment d'être devenu étranger au monde, état profond qu'aucune
forme de communication ultérieure avec les hommes ne pourra compenser.
(94)
- Celui qui a été soumis à la torture est désormais incapable de se sentir chez
soi dans le monde. [...} celui qui a été martyrisé est livré sans défense à
l'angoisse.
(p.95)
- Je prétend donc que la terre natale c'est la sécurité.
(p.109)
- Accorder-moi la dimension de mon passé, sans quoi je serais incomplet.
(p.131)
- [Le ressentiment] cloue chacun de nous à la croix de son passé anéanti. il
exige absurdement qu l'irrévesible soit inversé, que l'événement n'ait pas eu
lieu. Le ressentiment bloque l'accès à la dimension humaine par excellence :
l'avenir.
(p.149)
- Répétons-le encore : Hitler et ses méfaits continuent de faire partie de
l'histoire allemande et de la tradition allemande.
(p.165)
- Auschwitz est le passé, le présent et l'avenir de l'Allemagne.
(p.167)
- La solidarité face à la menace est tout ce qui me rattache à mes contemporains
juifs, qu'ils soient croyants ou incroyants, en faveur d'une nation ou en
faveur de l'assimilation....
(p.205)
- Sans le sentiment d'appartenance à la communauté des menacés, je ne serais
plus qu'un homme qui laisse tomber les bras et fuit la réalité.
(p.206)
- Tout se ramène donc à la conscience du cataclysme passé et à la crainte
légitime d'un nouveau cataclysme.
(p.207)
- Ce n'est pas parce qu'il m'est devenu difficile d'être un être humain que je
suis devenu un être inhumain.
(p.210)
)
(Actes Sud, 1995 Traduit de l'allemand par Françoise Wuilmart - première édition en 1966) lue dans la collection Babel N° 675 ISBN 2-7427-5323-0
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