Denis Grozdanovitch (1946 - 20..)

La vie rêvée du joueur d'échecs


  • [...] je n'ai jamais pu me départir de ce sentiment que n'importe quelle posture humaine procédait d'un jeu, parfois cruel et même infernal, mais d'un jeu tout de même. (p.12)

  • Tout joueur d'échecs sait ce qu'est un kibitzer. Ce mot - tiré du yiddish - désigne le commentateur qui s'assied au bord d'une table où une partie est en cours et, refusant de jamais se mettre lui-même en lice, se contente de faire régulièrement des commentaires sarcastiques et si possible désobligeants. Autant que je sache, ce type de personnages existe dans tous les clubs de jeu ou de sports de par le monde et, de l'agacement que peuvent parfois provoquer leurs incessants persiflages, leur présence demeur d'une importante primordiale. Sans eux, l'activité agonale risquerait de s'affaiblir et de confiner les joueurs passionnés - principalement aux échecs - dans leur folie carcérale. (p.16/17)

  • [Le jeu d'échecs] fut au départ, si tant est que la chose soit possible, une sorte d'autoanalyse. J'essayais d'observer mes propres réactions et le notais au jour le jour.[...] En réalité, je m'étais lancé dans une véritable aventure psychologique qui devait à la fois me réserver de multiples surprises et m'apprendre une foule de chose sur ma conduite habituelle dans l'existence, le jeu d'échecs étant, plus encore que le sport, un puissant révélateur du caractère personnel de chacun. (p.29/3O)

  • Besserwisser est un mot allemand passé dans le yiddish et qui désigne un « monsieur-je-sais-tout » ou plus exactement celui qui sait-mieux. Ce mot a fait florès dans la culture juive de l'Europe de l'Est dans la mesure où beaucoup d'apprentis talmudistes, forts de leur savoir acquis au prix de longues études, prétendaient invariablement savoir mieux que le commun des mortels. L'humour juif si souvent autodérisoire ne pouvait manquer de moquer cette présomption savante. Un diction yiddish dit ainsi « Dieu sait tout, mais le juif sait mieux ! » (p.34/35)

  • Déjà à mon époque, l'on exigeait d'un sportif professionnel était de devenir une sorte de robot combattant, un gagneur sans états d'âme ou, pour employer la terminologie hyperbolique de nos entraîneurs, « un tueur » habité par un esprit de victoire à tout prix. Bref, de se fermer aux valeurs véhicules par l'esprit de jeu : la gratuité, l'aléatoire, la camaraderie, la jubilation du beau geste et le fair-play, autrement dit : le plaisir sous toutes ses formes. (p.42/43)

  • [...] Ces séances d'entraînement solitaire prenant place à la tombée du jour, j'avais cru découvrir - les enfants étant naturellement métaphysiciens - la place du jeu dans l'univers. (p.44/45)

  • Il m'est toujours apparu que le sens du hasard, dont sont dotés les joueurs de l'existence, était un indice à la fois de vitalité et de sagesse. (p.50)

  • Cet aspect superflu, irrationnel du jeu indique bien que l'activité ludique possède non seulement un caractère sacré et mythique, mais qu'il se situe aussi au cœur de la biologie du vivant, à fortiori, bien entendu, de la condition humaine. (p.55)

    (Edition Grasset & Fasquelle 2021) - ISBN : 978-2-2466-82206-6



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dernière mise à jour : 06/10/2021 version: YF-06/2021