Simha Guterman ( - 1943~4)

Le livre retrouvé

Peut-on ne pas le lire ?


  • Arrivé à Gombin, je m'arrêtai dans un salon de thé pour prendre un café et un petit pain. Le patron, un jeune juif debout derrière le comptoir réclamait trente groscys à un client qui s'insurgeait:
    - Hier j'en ai payé vingt pour la même chose !
    - Hier, c'était hier ! Rétorqua le patron. La vie est courte, c'est la guerre...
    - Vous exigez dix groscys de plus pour votre philosophie de bazar ?
    - Payez et allez en paix ! Vous serez encore bien content lorsque j'en demanderai quarante.
    Je dus moi-même verser quatre zlotys, près du quart de ma fortune, pour mon misérable petit déjeuner.
    - Vous êtes un voleur! m'indignai-je.
    - On n'a pas été vous chercher! Et on ne vous oblige pas à revenir ! Nous sommes en guerre, vous savez, me répondit-il.
    Tous les habitants de Gombin n'étaient pas comme lui, je pus m'en rendre compte peu après. J'avais laissé ma bicyclette dans un petit magasin à l'enseigne : Réparations - Atelier chez « ADESS » . Quand je revins, la réparation était faite et le patron s'excusa:
    - Si vous n'étiez pas si pressé, j'aurai confectionné un nouvel axe, mais le temps manque, alors j'ai bricolé le support avec des boulons neufs et fixé le tout avec des écrous doubles.
    Quand je voulu payer il refusa :
    Que Dieu protège votre route, cela représentera pour moi le meilleur des paiements, dit-il.
    J'insistai mais il ne voulut rien entendre :
    - Ne vous faites pas de souci. Moi je suis là, chez moi, tandis que vous, vous êtes un réfugié. Les temps ont changé. Nous sommes en guerre vous savez !
    Deux juifs, le même constat et deux interprétations... (p.108)

    (Plon. Collection 10/18) Traduit du yiddish par Aby Wieviorka et Nicole Lapierre)


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dernière mise à jour : 8/09/2024 version: YF:01/2002