De ce livre d'une grande érudition je veux donner ici la table de matière.
I. Nature et signification du jeu comme phénomène de culture
II. Conception et expression de la notion de jeu dans la lang ue
III. Le jeu et la compétition comme fonction créatrice de culture
IV. Le jeu et la juridiction
V. Le jeu et la guerre
VI. Jeu et sagesse
VII. Jeu et poésie
VIII. La fonction de l'imagination
IX. Formes ludiques de la philosophie
X. Fonction ludiques de l'art
XI. Civilisation et époques sous l'angle du jeu
XII. L'élément ludique de la culture contemporaine
- Le jeu est plus ancien que la culture. [...] Les animaux jouent exactement
comme les hommes.
(p.15)
- L'existence du jeu, n'est liée à aucun degré de civilisation, à aucune forme de
conception de l'univers.
(p16)
- L'existence du jeu affirme de façon permanente, et au sens le plus élevé, le
caractère supralogique de notre situation dans le cosmos. Les animaux peuvent
jouer : ils sont donc déjà plus que des mécanismes. Nous jouons, et nous sommes
conscients de jouer: nous sommes donc plus que des êtres raisonnables, car le
jeu est irrationnel.
(p.19)
- Qu'on songe au langage, ce premier et suprême véhicule que l'homme se fabrique
pour pouvoir communiquer, apprendre, commander. Grâce au langage, il distingue,
définit, constate, en un mot nomme, autrement dit élève, les choses jusqu'au
domaine de l'esprit.
(p.20)
- Dans notre conscience, l'idée de jeu s'oppose à celle de sérieux. Cette
antithèse demeure provisoirement aussi irréductible que la notion de jeu
elle-même.
(p.21)
- En soi, le jeu n'est comique ni pour les joueurs ni pour les spectateurs.
(p.22)
- Le comique est en rapport étroit avec la sottise. En revanche, le jeu n'est pas
sot.
(p.22)
- Le jeu en soi, s'il constitue une activité de l'esprit, ne comporte pas de
fonction morale, ni vertu ni péché.
(p.23)
- Tout jeu est d'abord et avant tout une action libre. Le jeu commandé
n'est plus de jeu.
(p.24)
- L'enfant et l'animal jouent, parce qu'ils trouvent du plaisir à jouer, et leur
liberté réside là.
(p.24)
- Tout jeu peut à tout instant absorber entièrement le joueur.
(p.25)
- Quoi qu'il en soit, le jeu humain, dans toutes ses manifestations supérieures,
où il signifie ou célèbre quelque chose, a sa place dans la
sphère des fêtes et de culte, la sphère sacrée.
(p.26)
- Tout jeu à ses règles. Elles déterminent ce qui aura force de loi dans le cadre
du monde temporaire tracé par le jeu. [...] Aussitôt que les règles sont
violées, l'univers du jeu s'écroule.
(p.29)
- Dans la sphère du jeu, les lois et coutumes de la vie courante n'ont pas de
valeur.
(p.30)
- Suivant l'antique doctrine chinoise, la danse et la musique ont pour but de
maintenir l'univers dans ses voies et de contraindre la nature au profit de
l'homme.
(p.33)
- L'homme joue, comme l'enfant, pour son plaisir et son délassement, au-dessous
du niveau de la vie sérieuse. Il peut aussi jouer, au-dessus de ce niveau, des
jeux faits de beauté et de sainte ferveur.
(p.39)
- La piste, le court de tennis, le terrain de marelle, l'échiquier ne diffèrent
pas formellement du temple ou du cercle magique.
(p.40)
- Les rites fussent-ils sanglants, les épreuves des initiés cruelles, les masques
terrifiant, le tout se joue comme une fête. La vie « courante » est arrêtée.
(p.42)
- Le jeu comporte toujours la question de la réussite.
(p.76)
- Le sérieux, inhérent à l'accomplissement d'une compétition, ne signifie
nullement la négation du caractère ludique.
(p.77)
- Le résultat du jeu, en tant que fait objectif, est insignifiant et indifférent
en soi. Le shah de Perse qui aurait refusé, de passage en Angleterre,
d'assister à une course pour les motifs « qu'il savait bien qu'un cheval courait
plus vite qu'un autre », avait, de son point de vue, parfaitement raison. Il ne
consentait pas à se rendre dans une sphère ludique qui lui était étrangère :
il entendait demeurer en dehors.
(p.78/79)
- Un point est essentiel dans tous les jeux : la réussite permet au vainqueur
d'assurer sa réputation vis-à-vis d'autrui.
(p.79)
- L'idée de gagner est étroitement associé au jeu. Dans le jeu individuel, le
fait d'atteindre le but du jeu ne signifie pas encore gagner. Cette notion
n'intervient que lorsqu'on joue contre autrui.
Qu'est-ce que gagner ? et que gagne-t-on ? Gagner, c'est manifester sa
supériorité à l'issue d'un jeu. Toutefois, la validité de cette supériorité
bien établie à tendance à prendre l'apparence d'une supériorité en général. Et
par là, le fait de gagner dépasse le jeu en soi.
(p.79)
- Les notions de chance, et de sort sont toujours proches et la sphère religieuse,
pour l'esprit humain.
(p.88)
- Depuis la vie enfantine jusqu'aux activités suprêmes de la culture, le désir
d'être loué ou honoré pour sa supériorité agit comme l'un des ressorts les plus
puissants du perfectionnement individuel et collectif. On s'adresse des
compliments réciproques, on se loue soi-même. On recherche l'honneur approprié
à sa vertu.
(p.96)
- La possibilité d'une parenté entre le droit et le jeu nous paraît claire dès
que nous constatons que le procès, c'est-à-dire la mise en pratique par
excellence du droit - quelle que puissent être les bases idéales ce celui-ci -,
revêt dans une large mesure le caractère d'une compétition.
(p.114)
- Qui dit compétition, dit jeu.
(p.115)
- Le résultat du jeu de hasard est en lui-même une décision des dieux. Il le
reste encore aujourd'hui lorsqu'un règlement prescrit : en cas de parité de
voix, le sort décide.
(p.121)
- L'exercice de la juridiction et le jugement de Dieu ont leur origine commune
dans la pratique d'une décision agonale : le sort, ou une épreuve de force
prononce le jugement définitif. La lutte pour savoir qui vaincra et qui perdra
est sacrée en elle-même.
(p.121)
- Ce n'est certainement par l'effet du hasard, si la compétition tient en
particulier une place importante dans le choix de l'épouse ou de l'époux.
(p.122)
- La théorie de la « guerre totale » anéantit, pour la première fois, les
derniers restes de la fonction culturelle, et aussi la fonction ludique de la
guerre.
(p.131)
- Pour l'homme primitif, pouvoir et oser quelque chose signifie posséder
magique. Au fond, toute connaissance est pour lui une connaissance sacrée, un
secret qui donnent accès à un pouvoir de sorcier. Car pour lui, toute science
se, trouve au fond, en relation avec l'ordre du monde.
(p.153)
- Le problème cosmogonique est l'une des occupations primordiale de l'esprit
humain. La psychologie expérimentale infantile nous montre que nombre de
questions posées par un enfant de six ans sont habituellement de nature
cosmogonique : qui fait couler l'eau, d'où vient le vent, et d'autres au sujet
de l'état de mort, etc.
(p.156)
- [dans l'introduction d'un document boudhiste ancien les Questions de
Ménandre écrit en pâli. ] Le roi dit : « »Vénérable Nâgasena,
voulez-vous engager une conversation moi ? - Si votre Majesté désire converser
avec moi comme conversent les sages, j'y consens, mais si Elle converse avec
moi comme conversent les rois, je n'y consens pas. - Comment conversent les
sages, vénérable Nâgasena ? ». Suit l'explication : les sages contrairement aux
rois, ne s'irritent pas lorsqu'ils sont mis dans une situation difficile.
(p.163)
- Pour comprendre la poésie, il faut pouvoir s'assimiler l'âme de l'enfant,
comme on endosserait un vêtement magique, et admettre la supériorité de la
sagesse enfantine sur celle de l'homme.
(p.170/171)
- Tout langage est expression en images.
(p.189)
- L'élément lyrique est le plus éloigné de l'élément logique, et le plus proche
de l'élément musical et de la danse.
(p.200)
- L'essence même de la poésie lyrique est de se mouvoir en dehors des contraintes
de l'intelligence logique. Un caractère fondamental de l'imagination lyrique
est la tendance à l'exagération insensée.
(p.200/201)
- Le jeu a sa validité en dehors des normes de la raison, du devoir et de la
vérité.
(p.222)
- Tout véritable culte est chanté, dansé joué.
(p.222)
- Le rapport de la danse et du jeu ne pose pas problème. Il est si évident, si
intime et si complet que l'on peut négliger l'intégration du concept de la
danse dans celui du jeu. Le rapport de la danse avec le jeu ne consiste pas en
une participation, mais à une fusion, une identité d'essence. La danse est une
forme particulière et très parfaite du jeu et soi.
(p.230)
- Le maintien du droit des gens a toujours été largement dépendant de la validité
des notions d'honneur, de savoir-vivre et de bon ton.
(p.286)
- [...]Il faut conclure que le « cas sérieux », ce n'est pas la guerre mais la
paix. Car la suppression de ce lamentable rapport d'ennemi-ami permettra à la
pleine reconnaissance de sa dignité. La guerre, avec tout ce qui la
provoque et l'accompagne, se prend toujours dans le filet démoniaque du jeu.
Ici se révèle, une fois de plus, la troublante insolubilité du
problème : jeu ou sérieux. Peu à peu, nous en sommes arrivés à la conviction
que la culture est fondée sur le jeu noble, et qu'elle ne peut manquer de
teneur ludique, si elle veut déployer sa qualité suprême de style et de
dignité. Nulle part l'observance des règles établies n'est aussi indispensable
que dans les relations entre peuple et États. Si ces règles sont violées, la
société tombe alors dans la barbarie et le chaos.
(p.287/288)
- Toutefois, La guerre moderne semble avoir précisément perdu tout contact avec
le jeu. Des États hautement civilisés se retirent complètement de la communauté
du droit des gens, et professent sans honte un pacta non sunt servanda.
(p.288)
- La pensée du jeu ne peut se présenter, dès que l'on se place au moint de vue
de ceux qui sont victimes d'une agression, de ceux qui combattent pour leur
droit et leur liberté.
(p.288)
- Dans le critère de la valeur éthique, le dilemme séculaire, jeu ou sérieux,
trouve sa solution pour tous les cas particuliers. Quiconque méconnaît la
valeur objective du droit et des normes morales ne trouve aucune solution. La
politique a toutes ses racines dans le terrain primitif de la culture jouée en
compétition. Elle ne peut s'en dégager pour s'ennoblir que par un ethos
qui rejette la valeur du rapport ennemi-ami,[...]
(p.289)
- Peu à peu, nous avons abouti à une conclusion : la vraie culture ne peut
exister sans une certaine teneur ludique, car la culture suppose une certaine
modération et une certaine maîtrise de soi, une certaine aptitude à ne pas voir
la perfection dans ses propres tendances, mais à se considérer toutefois comme
enfermée dans certaines limites librement consenties. La culture sera toujours,
en un sens,jouée, du fait d'un accord mutuel suivant les règles données.
La véritable civilisation exige toujours et à tous points de vue le fair
play et le fair play n'est pas autre chose que l'équivalent, en
termes ludiques, de la bonne foi. Le briseur de jeu brise la culture même.
(p.289)
(Edition Gallimard, 1951 - Collection Tel (traduit du Néerlandais par Cécile Seresie) ISBN : 978-2-07-071279-3
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