Nancy Huston (1953 - ....)

Nord perdu


  • L'enfance, proche ou lointaine, est toujours en nous [souligné par l'auteur] (p.17)

  • Les exilés, eux, sont riches. Riches de leurs identités accumulées et contradictoires. (p.18)

  • Au fond, on n'apprend vraiment à connaître ses propres traits culturels qu'à partir du moment où ils jurent avec ceux de la culture environnante. (p.31)

  • La contrainte, autant que la liberté, est partie intégrante de notre identité humaine. (p.73)

  • Qu'est-ce qui est important?
    Voilà à ce jour ce que j'ai trouvé de mieux: est important ce qui est traduisible (p.90)

  • Qu'est ce que je deviens, moi, si tu ne te rappelles pas ? (p.99)

  • Un souvenir, il faut lui rendre visite de temps à autre, il faut le nourrir, le sortir, l'aérer, le montrer, le raconter aux autres ou à soi-même. Sans quoi il dépérit. (p.99)

  • Il est tout simplement inadmissible que l'on ne dispose que d'une seule vie! (p.115) [dernière phrase du livre]

    (Actes Sud. 1999)


Nancy Huston (1953 - ....)

Journal de la création


  • ...se suicider, c'est entre autres choses, choisir sa mort plutôt que la subir. (p.139)

  • ...l'impression subjective correspond à la vérité objective. Si on a « l'impression » d'avoir raté l'essentiel, et bien, on l'a raté. Si on n'a pas cette impression, on ne l'a pas raté. « L'essentiel », ce n'est ni les enfants ni les oeuvre d'art, c'est ce que l'on considère comme l'essentiel.. Bien sûr, quand l'essentiel se déplace, ça peut faire très mal. Mais personne n'a le droit de dire, à la place de quelqu'un d'autre : il (ou elle) n'a pas fait d'oeuvre (ou d'enfant), donc elle (ou il a raté l'essentiel. (p.140)

  • Ce n'est pas parce que l'homme le dit que la nuit se distingue du jour (quelle prétention, là encore,, à jouer Dieu!), c'est parce que la nuit est différente du jour. (p.296/297)

    (Edition du Seuil. 1990. lu dans collection Babel)


Nancy Huston (1953 - ....)

Désirs et réalités . Textes choisis 1978-1994


  • Et si après quelques dix années de vie de femme adulte-indépendance-célibataire-activiste, j'ai désiré partager ma vie avec un enfant ( et aussi avec un homme, mais cela, c'est une autre histoire), ce fut, entre autres raisons, pour changer ce rapport-là au temps. Pour me forcer à accepter une certaine « perte » du temps. Pour apprendre la paresse, la répétition et les temps « morts ». Parce qu'un enfant, peut-être plus qu'aucune expérience de vie humaine, vous confronte et à la nécessité et à la contingence. Quand vous lui mouchez le nez, ce n'est pas parce que c'est la chose qui vous tient le plus à coeur à ce moment-là, c'est parce que c'est cela qu'il faut faire. De même pour acheter ces couches. Faire sa bouillie. Se lever la nuit. Marcher plus lentement dans la rue. Ce sont des « pertes de temps » auxquelles il est impossible de remédier: des moments de vie « insauvables », irracontables, irrécupérables. C'est comme ça. Et encore comme ça. Et encore la même chose. La vie pure. Le rapport à l'autre sans récit possible. On le fait vivre et c'est tout, il n'y a rien à en dire. Du coup, la vie ne peut plus coïncider avec l'oeuvre: ça déborde de partout, et ça vous déborde. Effectivement vous n'avez pas le choix: ce ne sont pas des « rapports choisis avec des êtres choisis ». L'enfant est là, celui là et pas un autre, et il faut que vous subveniez à ses besoins. C'est nécessaire. Mais le plaisir qu'il vous apporte est lui parfaitement gratuit. Il n'est pas le résultat d'un « bon choix » : bon choix de vin ou de promenade ou de livre ou d'ami. Il vous tombe dessus sans que vous le « méritiez ». Un sourire, un câlin, une confidence chuchotée - ces choses-là sont non seulement « gratuites », elles sont inestimables. (p.93/94 article : Les enfants de Simone de Beauvoir)

    (Actes Sud. lu dans la collection Babel. 1995)


Nancy Huston (1953 - ....)

Professeurs de désespoir


  • Au XXe siècle, le "désenchantement du monde" n'a fait que s'accentuer. Les sciences modernes - théorie de l'évolution, génétique, sociologie, psychanalyse - révèlent le rôle joué dans la fabrication de nos précieuses individualités par des forces sur lesquelles nous n'avons aucune prise. C'est traumatisant... Mais on l'oublie trop souvent - j'oserais même dire qu'on l'oublie toujours -, c'est surtout traumatisant pour les hommes. Dans nos sociétés, en effet, les hommes se trouvent nettement plus "désenchanté" que les femmes. (p.26)

  • [...] dans l'ensemble en gros, les hommes et les femmes entretiennent un rapport différent au passage du temps et donc à la mortalité, voire à la mort. (p.36)

  • Le nihilisme est mysogyne dans son essence, puisqu'il condamne l'existence physique et en tient les femmes responsables. (p.41)

  • La langue étrangère vous fait le cadeau d'un handicap. Elle vous oblige à ralentir, à examiner chaque mot, chaque formule, chaque tournure. (p.114)

  • Est-ce un scandale que l'âme humaine soit piégée dans un corps ? N'est-ce pas un miracle, plutôt, que chaque corps humain recèle une âme ? (p.247)

    (Actes Sud. lu dans la collection Babel. 2004)


Nancy Huston (1953 - ....)

L'espèce fabulatrice


  •    Notre spécialité, notre prérogative, notre manie, notre gloire et notre chute, c'est le pourquoi.

       Pourquoi le pourquoi ? D'où surgit-il ?
       Le pourquoi surgit du temps.
       Et le temps, d'où vient-il ?
       De ce que, seuls de tous les vivants terrestres, les humains savent qu'ils sont nés et qu'ils vont mourir. (p.14)

  •    L'univers comme tel n'a pas de Sens. Il est silence.
       Personne n'a mis du Sens dans le monde, personne d'autre que nous.
       Le sens dépend de l'humain, et l'humain dépend du Sens.
       Quand nous aurons disparu, même si notre soleil continue d'émettre lumière et chaleur. Il n'y aura plus de Sens nulle part. Aucune larme ne sera versée sur notre absence, aucune conclusion tirée quant à la signification de notre bref passage sur la planète Terre ; cette signification prendra fin avec nous. (p.15)

  •    Car la vie est dure, et ne dure pas, et nous sommes les seuls à le savoir.
       La narrativité s'est développée en notre espèce comme technique de survie. Elle est inscrite dans les circonvolutions mêmes de notre cerveau. (p.17)

  •    Sans hommes : pas de nom.
       Dieu qui nomme les premiers hommes, etc., c'est une fiction. Nous ne sommes pas sa création. Il est la nôtre.
       Dieu ne peut pas être, ailleurs que dans nos histoires. Pour être Dieu il faut parler et pour parler il faut une langue et pour avoir une langue il faut déjà faire partie de l'histoire humaine. (p.19)

  •    Ce qui est spécifiquement humain, ce n'est pas d'être gentil ou méchant, cruel ou compatissant, c'est de se dire qu'on l'est pour quelque chose. Or cette chose (religion, pays, lignée) est toujours une fiction. (p.22)

  •    La conscience n'est rien d'autre que le penchant prononcé en faveur de ce qui est stable, continu, raisonnable et racontable. (p.27)

  •    Dire d'un monde qu'il est humain, c'est dire qu'il est imprégné de fictions de part en part. (p.28)

  •    L'identité nous vient des histoires, récits, fictions diverses qui nous sont inculqués au cours de notre prime jeunesse. On croit, on y tient, on s'y cramponne - alors que, bien sûr, adapté tout bébé à l'autre bout du monde, appris qu'on était australien et non canadien, protestant et non juif, de droite et non de gauche, etc., on serait devenu différent. (p.31)

  •    Le langage met de l'ordre. Mais, on l'oublie trop souvent : ordre n'est pas synonyme de vérité. (p.33)

  •    Le prénom est un excellent exemple de l'arbitraire qui se transforme en nécessité, de la fiction qui façonne le réel. (p.35)

  •    Les religions sont une des principales sources des fables reliant les gens entre eux. (p.45)

  •    La pureté du sang est une des fictions les plus puissantes et les plus pernicieuses qui soient. (p.47)

  •    Parler une ou plusieurs langues étrangères anéantir la fausse évidence de la langue maternelle et vous aide à la percevoir pour ce qu'elle est : une prise sur le réel parmi d'autres. (p.49)

  •    Voici les phrases que j'entends le plus souvent à mon sujet : « Elle cherche son identité » ; « Elle est déchirée entre plusieurs identités » ...

       Non, non, je ne me porte pas mal du tout, merci. Simplement le fait d'avoir occupé plusieurs cases sur l'échiquier identitaire me permet de voir le caractère fictif de l'identité des autres, et d'éviter quelques-uns de ses pièges (racisme, fierté patriotique, délires mégalomanes, etc.) Il est vrai que cela me fragilise aussi - car les fictions confèrent des forces réelles et, quand on est trop multiple (comme l'était sans doute Romain Gary), on risque le vertige, la folie, la dissociation, le suicide). (p.51/52)

  •    Ce qui a du Sens, ce n'est pas le rêve mais le récit du rêve, qui est déjà une interprétation. (p.74)

  •    Naître, pour un humain, c'est, aussitôt : mériter de naître. (p.80)

  •    À un tout petit enfant, on peut apprendre à parler n'importe quelle langue du monde, à chanter n'importe quel air, à aimer n'importe quelle nourriture et à croire en n'importe quel dieu. (p.81)

  •    La paranoïa, maladie de la surinterprétation, est la maladie congénitale de notre espèce. (p.83)

  •    Comment survivre ? En se liant, en se liguant.

       La fonction primordiale des histoires humaines, c'est l'inclusion et l'exclusion.

       Le nous s'instaure par le récit bricolé du passé collectif. Par la mémoire. C'est-à-dire par des fictions. La fierté est le lien, le liant. Tout nous s'escrime à être fier d'être ce qu'il est : il le faut, pour la tranquillité et la sécurité des je qui la composent. (85/86)

  •    Mea culpa, mea culpa mea maxima culpa ! Plus de vingt siècles après le mort de Jésus, au cœur du continent européen, les gens prononcent encore ces mots avec ferveur chaque dimanche à l'église. Les êtres humains tiennent à se sentir coupables... mais pas trop responsables. C'est pourquoi la soumission est un penchant tellement plus fort que la liberté. (p.105)

  •    Aucune religion ne peut fournir une réponse objective à la question de savoir à quelle fin existent l'univers et l'homme. Toutes, en revanche, proposent d'excellentes réponses subjectives. (p.111)

  •    Aussi loin que l'on remonte dans le temps, aussi profond que l'on s'enfonce dans la jungle ou le désert, on ne trouve aucune trace d'un groupement humain ayant vécu dans la seule "réalité", la constatant et la commentant, sans (e) raconter d'histoire à son sujet.
       Si les fictions avec personnages sont omniprésentes dans notre espèce, c'est que nous sommes nous-mêmes les personnages de notre vie - et avons besoin, à la différence des chimpanzés, d'apprendre notre rôle.
       Personnage et personne viennent tous deux de persona : mot bien ancien (les Romains l'ayant emprunté aux Étrusques) signifiant "masque".
       Un être humain, c'est quelqu'un qui porte un masque.
       Chaque personne est un personnage.
       La spécificité de notre espèce, c'est qu'elle passe sa vie à jouer sa vie. (p.157/158)

  •    Personne n'apprend à parler seul. Le langage est très exactement la présence des autres en nous. Sans cette présence, nous serions incapables d'accéder au monde humain. (p.166)

    (Actes Sud. lu dans la collection Babel. 2008)



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dernière mise à jour : 21/06/2022 version: YF:05/2004