- Sur les bancs de l'école à la française, on a vite fait de perdre de vue la
profonde interdépendance du langage et des gestes, et de considérer la main
comme un organe simplement asservi au cerveau.
(p.34)
- Car cette bonne première leçon, première d'une longue série, avait une
contrepartie qui vaut pour tout métier artisanal : on peut être plus au moins
doué de ses doigts, mais pour l'essentiel la maîtrise des geste techniques est
une affaire d'entraînement. Il n'y a pas de geste « naturel », mais seulement
de la pratique.
(p.36)
- Apprendre à scier n'est pas une mince affaire. L'acquisition d'un geste aussi
simple repose sur un dialogue constant entre la main, l'oeil et ce cerveau, qui
s'aident mutuellement pour corriger les postures et les mouvements encore
imprécis. Cette coordination requiet une « discipline de l'attention » toute
différente de celle dont on a l'habitude dans les cours magistraux de
l'universite.
[ Note : l'expression "discipline de l'attention..." vient de Simone Wweil ]
(p.47)
- Ici comme dans bien d'autres pratiques gestuelles, telle la boxe ou la danse,
le bon geste de la main puise sa force dans le sol. Bien scier vient des pieds.
(p.50)
- La répétition et la pratique sont décisives pour l'acquisition des gestes
élémentaires d'un métier.
(p.51)
- ..apprendre les techniques du trait permet en effet de développer la vision
dans l'espace.
...
Soit dit en passant, car malheureusement il est encore nécessaire de le
répéter : la vision dans l'espace n'est pas une aptitude spécifiquement
masculine.
(p.70)
- Sans doute les développeurs informatiques connaissent-ils un même type de
vérification binaire de leur travail : l'algorithme marche ou ne marche pas.
C'est la vertu de cette confrontation au matériel, lequel n'y va jamais par
quatre chemins et se rappelle toujours à nous quand nous ne l'avons pas bien
compris.
(p.90)
- Il y a également un bénéfice psychique à cette confrontation au réel et à la
matière.
...
Réaliser un tel ouvrage [ de qualité ] qui répond à de critères de qualité
objectifs, cela permet de sortir de soi, de s'oublier derrière son ouvrage.
Cette extériorité offre un rapport plus objectif aux défauts, aux
imperfections. Les critiques du résultat sont moins perçues comme des attaques
directes que comme des incitations à la correction des erreurs.
(p.90/91)
- Apprendre à faire la distinction entre l'aspiration au travail bien réalisé et
l'acceptation ds inévitables imprécisions est l'une des grandes dimensions
de l'apprentissage d'un métier. Dans la confrontation avec la matière, cet
aspect est particulièrement flagrant: il faut intégrer à son action la
conscience du fait que le matériau ne permet qu'un certain niveau de précision,
que donc la perfection n'est pas exigible, mais en revanche qu'il existe des
niveaux d'attente différents pour tel ou tel type d'action....
(p.92/93)
- L'apprentissage consiste justement à s'adapter au niveau de précision utile.
C'est à cela que l'on reconnaît un artisan d'expérience, et sans doute aussi
tout professionnel expérimenté : pour chaque tâche de son répertoire, en
fonction de chaque situation particulière, il sait estimer quelle précision est
possible et souhaitable et, inversement, quelle marge d'imprécision est
acceptable.
(p.94)
- Une citation..« Quand la recherche d'erreurs et leur rectification deviennent
un part naturelle du boutot, le résultat est bon! » [ Ole Thorstensen,
Journal d'un artisan )
(9.119)
- La confrontation, en situation réelle, à des tâches qu'on ne maîtrise pas
encore est au coeur de l'apprentissage.
(p.120)
- L'honneur, en effet, se définit comme la vertu qui porte à se conformer à une
norome sociale. Par là, il désigne en des termes moraux l'obligation
d'inscription dans une communauté...
(p.151)
- L'artisanat est l'inverse du travail aliéné.
(p.171)
(Editions Payot & Rivages 2019 ISBN 978-2-228-92271-5 )
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