- Je n'ai pas plusieurs identités, j'en ai une seule, faite de tous les éléments
qui l'ont façonnée, selon un « dosage » particulier qui n'est jamais le même
d'une personne à l'autre.
(p.8)
- Quiconque revendique une identité plus complexe se retrouve marginalisé.
(p.9)
- Mon identité, c'est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre
personne.
(p.16)
- Le fait d'être chrétien et d'avoir pour langue maternelle l'arabe, qui est la
langue sacrée de l'islam, est l'un des paradoxes fondamentaux qui ont forgé mon
identité.
(p.23/24)
- En extrapolant à peine, je dirai : avec chaque être humain, j'ai quelques
appartenances communes ; mais aucune personne au monde ne partage toutes mes
appartenances, ni même une grande partie de celles-ci ; [...]
(p.27)
- Car c'est mon regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites
appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer.
(p.29)
- L'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se
transforme tout au long de l'existence.
(p.31)
- Bien que ce ne soit évidemment pas l'environnement social qui détermine le
sexe, c'est lui néanmoins qui détermine le sens de cette appartenance : naître
fille à Kaboul ou à Oslo n'a pas la même signification, on ne vit pas de la
même manière sa féminité, ni aucun autre élément de son identité...
S'agissant de la couleur, on pourrait formuler une remarque similaire.
(p.31)
- [...] ce qui détermine l'appartenance d'une personne à un groupe donné, c'est
essentiellement l'influence d'autrui ; l'influence des proches — parents,
compatriotes, coreligionnaires — qui cherchent à se l'approprier, et
l'influence de ceux d'en face, qui s'emploient à l'exclure.
(p.33)
- Ce sont les blessures qui déterminent à chaque étape de la vie, l'attitude des
hommes à l'égard de leurs appartenances, et la hiérarchie entre celles-ci.
[...] qu'une seule appartenance soit touchée, et c'est toute la personne qui
vibre.
(p.34)
- [...] je sais parfaitement que la peur pourrait faite basculer n'importe quelle
personne dans le crime.
(p.35)
- [...] à partir du moment où une population a peur, c'est la réalité de la peur
qui doit être prise en considération plus que la réalité de la menace.
(p.36/37)
- Le monde est une machine complexe qui ne se démonte pas avec un tournevis.
(p.37)
- C'est qu'on ne sait jamais où s'arrête la légitime affirmation de l'identité,
et où commence l'empiètement sur les droits des autres !
(p.41)
- La sagesse est un chemin de crête, la voie étroite entre deux précipices,
entre deux conceptions extrêmes. En matière d'immigration, la première de ces
conceptions extrêmes est celle qui considère le pays d'accueil comme une page
blanche ou chacun pourrait écrire ce qu'il lui plaît, ou, pire, comme un
terrain vague où chacun pourrait s'installer avec armes et bagages, sans rien
changer à ses gestes ni à ses habitudes. L'autre conception extrême est celle
qui considère le pays d'accueil comme une page déjà écrite et imprimée, comme
une terre dont les lois, les valeurs, les croyances, les caractéristiques
culturelles et humaines auraient déjà été fixées une fois pour toutes, les
immigrants n'ayant plus qu'à s'y conformer.
(p.49/50)
- Pour les uns et les autres, j'insiste. Il y a constamment, dans l'approche qui
est la mienne, une exigence de réciprocité - qui est à la fois souci
d'équité et souci d'efficacité.
(p.51)
- Le droit de critiquer l'autre se gagne, se mérite. [...]
(p.53)
- Lorsqu'un acte répréhensible est commis au nom d'une doctrine, quelle qu'elle
soit, celle-ci n'en devient pas coupable pour autant ; même si elle ne peut
être considérée comme totalement étrangère à cet acte.
(p.58)
- Moi qui ne suis pas musulman et qui me situe d'ailleurs, délibérément, hors de
tout système de croyance, je ne me sens nullement habilité à distinguer ce qui
conforme à l'islam de ce qui ne l'est pas.
(p.58/59)
- [...] à mes yeux un croyant est simplement celui qui croit en certaines
valeurs - que je résumerais en une seule : la dignité de l'être humain. Le
reste n'est que mythologies, ou espérances.
(p.66)
- Mais il me semble que l'on exagère trop souvent l'influence des religions sur
les peuples, tandis qu'on néglige à l'inverse, l'influence des peuples sur les
religions.
(p.71)
- [...] je ne puis accepter qu'une faction religieuse, fût-elle majoritaire,
impose sa loi à l'ensemble de la population - à mes yeux la tyrannie de la
majorité ne vaut pas mieux, moralement que la tyrannie de la minorité ; et
aussi parce que je crois profondément en l'égalité de tous, hommes et femmes
notamment, ainsi qu'en la liberté de croyance, en la liberté pour conduire sa
vie comme il l'entend, et me méfie de toute doctrine qui cherche à contester
des valeurs aussi fondamentales.
(p.103)
- Plus la science progressera, plus l'homme devra s'interroger sur la finalité.
Le Dieu du « comment ? » s'estompera un jour, mais le Dieu du
« pourquoi ? » ne mourra jamais.
(p.109)
- Séparer l'Église de l'État ne suffit plus ; tout aussi important serait de
séparer le religieux de l'identitaire.
(p.110)
- Et le destin ? demanderont certains, avec un clin d'œil appuyé à l'Oriental
que je suis. J'ai l'habitude de répondre que, pour l'homme, le destin est
comme le vent pour un voilier. Celui qui est à la barre ne peut décider d'où
souffle le vent, ni avec qu'elle force, mais il peut orienter sa propre voile.
Et cela fait parfois une sacrée différence. Le même vent qui fera périr un
marin inexpérimenté, ou imprudent, ou mal inspiré, ramènera un autre à bon port.
(p.113)
- Le postulat de base de l'universalité, c'est de considérer qu'il y a des droits
inhérents à la dignité de la personne humaine, que nul ne devrait dénier à
ses semblables à cause de leur religion, de leur couleur, de leur nationalité,
de leur sexe, ou pour toute autre raison.
(p.123)
- La notion d'universalité serait vide de sens si elle ne présupposait pas qu'il
y a des valeurs qui concernent tous les humais, sans distinction aucune. Ces
valeurs priment tout. Les traditions ne méritent d'être respectées que dans la
mesure où elles sont respectables c'est-à-dire dans l'exacte mesure où elles
respectent les droits fondamentaux des hommes et des femmes.
(p.124)
- Dans le domaine des droits fondamentaux [...]il faut tendre vers l'universalité
et même, s'il le faut, vers l'uniformité, parce que l'humanité, tout en
étant multiple, est d'abord une.
(p.124/125)
- Il serait désastreux que la mondialisation en cours fonctionne à sens unique,
d'un côté les « émetteurs universels », de l'autre les « récepteurs »; d'un
côté « la norme », de l'autre « les exceptions » ; d'un côté ceux qui sont
convaincus que le reste du monde ne peut rien leur apprendre; de l'autre ceux
qui sont persuadés que le monde ne voudra jamais les écouter.
(p.143)
- S'enfermer dans une mentalité d'agressé est plus dévastateur encore pour la
victime que l'agression elle-même.
(p.143)
- De toutes les appartenances que nous nous reconnaissons, la langue est
presque toujours l'une des plus déterminantes.[...] Lorsque deux communautés
pratiquent des langues différentes, leur religion commune ne suffit pas à les
rassembler. [...]
(p.152)
- [...] un homme peut vivre sans aucune religion, mais évidemment pas sans
aucune langue.
Une autre observation, tout aussi évidente, mais qui mérite d'être rappelée
dès que l'on compare ces deux éléments majeurs de l'identité : la religion a
vocation à être exclusive la langue pas.
(p.153)
- La langue a vocation à demeurer le pivot de l'identité culturelle, et la
diversité linguistique le pivot de toute diversité.
(p.153/154)
- Bien entendu, toutes les langues ne sont pas nées égales. Mais je dirai d'elles
ce que je dis des personnes, à savoir qu'elles ont toutes également droit au
respect de leur dignité.
(p.156)
- Pour qu'une personne puisse se sentir à l'aise dans le monde d'aujourd'hui, il
est essentiel qu'elle ne soit pas obligée, pour y pénétrer, d'abandonner sa
langue identitaire.
(p.159)
(Grasset 1998. Lu dans le livre de poche) ISBN 978-2-253-15005-3
|