Agar (1955)
- - Je préfère la solitude aux médiocres.
La discussion tourne court. J'ai honte d'avouer que je préfère les médiocres à
la solitude.
(p.85)
- C'est une des illusions que je conservai le plus longtemps : croire que je pourrais
convaincre un homme, quelle que fût sa méfiance, en m'ouvrant complètement à lui,
en me livrant sans défense.
(p.139)
(Éditions Correa/Buchet /Chastel. 1955. Collection Folio)
|
Portrait d'un juif (1962)
- Que cela me flatte ou m'humilie, mon sort est lié à celui de tous les autres
juifs.
(p.136)
- La condition juive, je le veux bien, est un raccourci, plus condensé, plus
sombre, de la condition humaine.
(p.244)
- Il y a longtemps que je ne me crois plus moi-même sur parole, et que je ne
l'exige plus des autres.
(p.311)
(Éditions Gallimard. 1962 collection folio)
|
Juifs et arabes (1974)
- Je pense fermement que la prise de conscience d'une situation réelle est le
premier pas vers la libération.
(p.26)
- Etre juif, ce n'est pas seulement en avoir conscience, c'est subir une
Condition objective.
(p.30)
- Etre juif, c'est subir le destin objectif d'un même groupe d'hommes.
(40)
- La réalité juive est substantiellement liée à Israël, mythes et réalités.
(p.44)
- Ce qui est essentiel et indiscutable est ceci: dorénavant, l'Etat d'Israël
fait partie du destin de tout juif dans le monde, qui continue à se reconnaître
comme Juif. Quelles que soient les hésitations, ou même les condamnations, que
peut soulever telle de ses actions, son existence ne saurait être mise en
question par aucun Juif dans le monde, sans qu'il se nuise gravement à
lui-même.
(p.45)
- Malheureusement, ai-je souvent noté, il n'y a pas d'harmonie préétablie entre
les intérêts de tous les opprimés.
(p.45)
- ..il n'y a pas de grande compatibilité entre les constitutions arabes et la
laïcité.
(p.55)
(Éditions Gallimard. 1974 collection idées)
|
Le Nomade immobile (2000)
- A la suite de l'un de mes romans, on m'a beaucoup interrogé sur le mariage
mixte. Ne rédigeant pas une traité sur le mariage (j'aimerai le faire un jour),
je me résume: tout mariage est difficile à réussir, mais le mariage mixte,
surtout religieux, l'est encore plus. En faisant bien la part, bien entendu,
des différences de tempérament, qui sont quelquefois plus importantes que les
différences culturelles. (je mets en gras) Et en faisant une grande part,
surtout, à la différence qui vient des sexes: nous n'avons pas les mêmes
rythmes, ni le même système émotionnel, ni les mêmes intérêts, ni le même
projet existentiel. Hommes et femmes étant déjà bien assez surprenants les uns
pour les autres, mieux vaut ne pas ajouter des difficultés aux difficultés. Ce
n'est pas trahir ma compagne que de faire un tel aveu - nous sommes ensemble
depuis cinquante ans: il m'arrive de deviner qu'elle aussi, de temps en temps,
a eu envie d'une vie conjugale moins complexe. Aux jeunes gens qui se lancent
dans cette aventure, je dirais: « Si vous voulez vivre la mixité, demandez-vous
d'abord si vous en avez la force. »
(p.60/61)
- La solitude devient pour moi une hygiène mentale, une méthode de pensée et une
règle de sagesse pratique. Indispensable schizophrénie pour faire une oeuvre !
Pour penser juste, il faut réfléchir seul.
(p.79)
- Les héros meurent jeunes, et je n'ai pu m'empêcher de vieillir. Le héros
choisit la tragédie; je plaide pour le bonheur. Le héros est un passionné; en
politique comme en amour, je crois la passion mauvaise conseillère. De toutes
manières, je me refuse à la démagogie des justes causes.
(p.87)
- L'exil n'a pas que des inconvénients. Il est aussi riche de fécondités.
(p.97)
- La dimension Juive
- D'une manière plus générale, je suis préoccupé par le destin des juifs dans
le monde. Non seulement par solidarité, mais aussi parce que je pense que cette
commune condition retentit sur ma vie.
(p.104)
- Les juifs ont porté à l'extrême ce retournement : ils ont fait de leur malheur
historique une élection métaphysique.
(p.106)
- Aucun attachement ne doit être si serré qu'il n'empêche d'avancer.
(p.113)
- L'histoire nous a toujours rattrapés. A Paris même, au moment où j'écris ces
lignes, on recommence à se plaindre d'un trop plein de juifs à la télévision,
à la radio, au barreau, dans le corps médical, comme s'il fallait un quota de
juifs à ne pas dépasser, comme si les juifs n'étaient pas des citoyens comme
les autres. Le rappel des camps nazis commence à agacer comme une incongruité:
comme si cette aberration de l'humanité ne concernait qu'eux.
(p.120/121)
- Qu'est ce qu'être juif? ... il me semble surtout que c'est une condition;
c'est-à-dire un ensemble de relations avec les autres et avec soi-même. Etre
juif (comme du reste être français, ou arabe, ou femme) n'est pas un choix,
c'est une contrainte plus au moins acceptée, mais qui s'impose à nous...
(p.122)
- Quoi qu'il en soit, j'ai soutenu qu'être juif, ce n'est pas seulement être
considéré comme tel, mais être traité d'une certaine manière, subir un certain
destin.
(p.122)
- Lorsque des juifs iraniens sont menacés de mort, je sens en moi le frisson de
la mort.
(p.122)
- Cette condition objective, on peut la revendiquer ou la refuser: on ne peut
ni la nier, ni si soustraire totalement.
(p.123)
- Il s'ensuit qu'être juif n'est pas seulement un fait objectif; c'est une
manière d'expérimenter le monde.
(p.123)
- J'ai tendance à penser que la condition juive est généralement vécue comme
une blessure jamais complètement cicatrisée.
(p.123)
- Ce qui nous est arrivé, à nous, juifs, est pire: on a voulu sciemment nous
tuer. Tous.
(p.124)
- Etre juif, c'est encore une manière de se conduire pour surmonter les
handicaps du minoritaire et de l'accusé, pour affronter la suspicion dans
laquelle on vit, pour contrer la menace permanente. La solidarité des juifs -
on la leur reproche mais c'est un fait - est une réponde à cette commune
condition.
(p.125)
- Je me sens mieux parmi les juifs, parce que j'ai le sentiments, à tord ou a
raison, d'y être moins en danger.
(p.125)
- Le sionisme n'est pas plus critiquable que les autres mouvements de libération
nationale; plut moins, en vertu de ses ambitions moralisatrices, feintes ou
réelles.
(p.129)
- On a le droit d'être différent, on n'a pas le droit d'imposer ses
différences aux autres.
(p.131)
- ...la culture est devenue la religion des laïques.
(p.156)
- Dans la mesure du possible, je tâche d'éviter de blesser les gens, mais je
refuse de leur
donner raison si je pense qu'ils ont tort.
(p.166/167)
- Les Eglises sont par nature exclusives et anthropophages.
- Personne n'a le droit de vous demander de renoncer à vous-même.
(p.207)
- Je croyais trouver dans la philosophie une formule magique pour aborder
n'importe quel problème. Contre mon habitude j'avais même choisi un modèle
parmi les grands hommes de l'Antiquité. pour connaître la bonne direction,
sinon pour découvrir la solution, il me suffirait de me demander : « Qu'en
aurait pensé Marc-Aurèle ? »; « Qu'aurait décidé Marc-Aurèle ? ». Pourquoi
Marc-Aurèle ? Parce que ce philosophe de l'Antiquité était un moraliste, et
que, sans le savoir clairement, j'en était un. Je le suis toujours.
(p.209)
- J'ai même assez peu d'illusion sur l'emploi qu'on fait généralement de la
raison. Ce n'est le plus souvent qu'un effort, la tentative d'habiller d'une
mince péllicule des comportements dictés par l'émotion, les préjugés, les
superstitions, les réactions spontanées d'appartenance.
(p.217)
- Notre vie est une constante négociation entre le rationnel, l'imaginaire et
nos émotions.
(p.217)
- J'ai mis plus de temps à comprendre qu'il fallait en outre être un philosophe
heureux. Non seulement ce n'était pas contradictoire, mais être l'un sans
l'autre aurait été une duperie.(..)
(p.266)
- Qui n'a pas été heureux durant sa vie a été floué, en effet, parce qu'il
n'y en a pas d'autre. Pour moi, en tout cas, j'ai lentement appris que c'est en
cela principalement que consiste l'échec d'une vie. La sagesse marche sur deux
pattes: la connaissance et le contentement de soi.
(p.266)
- S'il fallait résumer encore plus, je dirais que j'ai décidé d'être humaniste,
laïque et rationaliste: humaniste pour la morale, laïque pour l'organisation
sociale, et rationaliste pour la pensée.
(p.277)
- Ses désirs se faisant moins vifs, comme le vin, le philosophe se bonifie en
vieillissant. Les pulsions sont moins vives, il est vrai. A l'instar de ces
gens qui font graver sur leur tombe ce qui leur paraît leur principal mérité,
je souhaite que l'on mette sur la mienne : « Il a tenté d'être sage et réussi
quelquefois à être heureux. »
(p.277/278)
(Éditions Arléa. Octobre 2000)
|
Dictionnaire critique à l'usage des incrédules. (2002)
- ..je ne m'approuve que dans la distance que je prends par rapport à mes
convictions.
(p.10)
- S'en tenir à l'expérience, se contraindre à raisonner, au lieu de céder à ses
émotions, à ses préjugés, et à la partialité de ses appartenances ethniques ou
nationales, ne pas outrepasser les limites d'une conclusion justifiée par une
argumentation: cette rigueur élémentaire, et en somme modeste, est la condition
de tout progrès de l'esprit.
(p.10)
- Il s'agit en gros de montrer que l'homme prime sur les mythes et même sur
les idées et les groupes.
(p.11)
- Il est déjà assez ennuyeux de mourir ignorant, n'y ajoutons pas d'être dupe et
complice de ses servitudes.
(p.11)
(Éditions du Félin. 2002)
|
La statue de sel (1966)
- Toute ma vie, mes amitiés, mes acquisitions furent soumises à une constante
réadaptation de ce que j'étais.
(p.44)
- Je n'ai jamais pu me débarasser de cet envoûtement magique du langage.
(p.45)
- [Memmi parle ici des enfants de l'Assistance, dans une colonie :]
Et, en vérité, ils étaient différents de nous. je ne me repose pas sur le
souvenir déformateur; j'ai retrouvé ces rires sournois, cette brutalité, ces
visages de misère et de solitude chaque fois que j'ai approché des enfants de
l'Assistance. Moi, j'avais des parents, j'en étais loin mais provisoirement;
Seulement me reporter par la pensée à mon père, à ma mère, à l'Impasse, donnait
une certitude, un équilibre à mon coeur.
(p.61)
- [...il faudrait lire tout le paragraphe]...Hors de lui, le miliaire en vint
enfin à l'argument décisif : pour la première fois, je rencontrai l'explication
d'une faute ou d'une tare par le judaïsme de son auteur. Le sergent hurlant,
nous releva pourquoi Mimouni avait eu cette idée ignomineuse : Mimouni était
juif et les juifs ont un penchant irréssistible au commerce. Ce fut la
première expérience d'une définitive habitude : j'appris à associer juiverie
et mercantilisme et j'en voulu aux juifs qui osaient négocier.
(p.62)
- Bizarrre, que des gens se glorifient de consacrer leur vie à l'argent.
(p.231)
- Ridicule complaisance de gens envers eux-mêmes : accrocher leur propre portrait
au mur. Qu'ils vieillissent et on s'en aperçoit.
(p.233)
- Que la philosophie et les édifices rationnels sont futiles et vains comparés
au concert sanglant du monde des hommes!
...
Je commençais à douter de ce qui me paraissait l'essence de l'Occident :
sa philosophie.
(p.290)
- Ne devenez par un inconnu à vous-même car ce jour-là vous serez perdu; il n'y
aura plus de paix pour vous s'il n'existe plus au fond de vous-même un coin de
certitude, des eaux tranquilles où vous réfugier par le sommeil.
(p.346)
- Malgré mes fureurs périodiques, j'avais l'habitude de l'injustice et de
l'inégalité naturelle entre les hommes.
(p.361)
(Éditions Gallimard 1966 lu en version de Poche chez Folio N° 206)
|
Début de page
|
dernière mise à jour : 29/07/2024
|
version: YF:01/2002
|
|