Pour Annie Peretz:Isaac Leib Peretz [YF]
Isaac Leib Peretz (1851-1915)

Conte: La paix domestique


  • la paix domestique
    L'après midi du Sabbat, après un léger somme, Haïm s'en va dans la petite synagogue écouter la parole divine. Là, un orateur explique les Commentaires au peuple. Il fait chaud. Les figures sont encore gonflées de sommeil: l'un s'assoupit, un autre bâille. Mais quand on arrive au bon endroit, lorsqu'on parle du ciel, de l'enfer où l'on fouette les méchants avec des verges de fer, du splendide paradis où les justes, des couronnes d'or sur la tête, sont assis et étudient la Torah... à ce moment tous s'animent. Les bouches sont ouvertes, les faces, rouges; on écoute, l'haleine suspendue, ce qui ce passera dans l'autre monde.

    Haim se met d'habitude à côté du poêle. Il a des larmes dans les yeux, ses mains et ses jambes trembles; il est tout entier dans l'au-delà.

    - Ah mon Dieu, dit-il, au moins un bout, un petit brin, une miette au moins de paradis... pour moi, pour ma femme et pour tous mes enfants.

    Puis il devient triste; il se demande: « Malheureux, à quel titre le mériterai-je?...»

    Une fois la séance finie, il s'est approché du maître: « Rabbi, dit-il, et sa voix tremble, conseillez-moi afin que je puisse mériter le ciel. - Etudie la Torah, mon enfant. - Je ne saurais point. - Etudie les Commentaires ou bien le recueil de Aïn Jacob ou au moins les Maximes des Anciens. - Je ne saurais point. - Récite les Psaumes. - Je n'ai pas le temps. - Prie sincèrement ! - Je ne comprends pas les prières que je dis.»

    Le maître le regarde avec pitié: « Que fais-tu ? demande-t-il. - Je suis portefaix. - Et bien, fais-toi serviteur des pieux docteurs. - Comment ? - Apporte tous les soirs, par exemple, quelques seaux d'eau au Beth-Hamidrash (Maison d'école), pour que les doctes aient à boire.» Haïm devient tout joyeux. « Rabbi, demande-t-il encore, et ma femme ? - Quand le mari est assis dans un fauteuil au Paradis, la femme est son marchepied.»

    Quand Haïm rentre pour faire la Havdalah (cérémonie qui termine le Sabbat), Hannah était en train de dire sa prière: « Dieu d'Abraham. » Lorsqu'il l'aperçut, une vive émotion lui serra le coeur.

    - Non, Hannah, fit-il en l'attirant dans ses bras, je ne veux pas que tu sois mon marchepied... Je me pencherai vers toi, je te lèverai et t'assoirai à côté de moi. Ensemble nous serons assis dans le même fauteuil, comme maintenant... Il fait si bon d'être ensemble! Entends-tu, Hannah, il faut que tu t'assois avec moi dans le même fauteuil... Le seigneur sera bien forcé de l'accorder. (Dans l'Anthologie Juive de Edmond Fleg p.364 - Flammarion 1956)

    (du recueil "Bontché le Silencieux" Traduit du Yiddich par Edmond Fleg)


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dernière mise à jour : 8/09/2024 version: YF/12/2002