- Jacques Hadamard, un des plus grands mathématiciens de son temps, portait sur eux
[les philosophes ] quelques appréciations peu charitables : « Ce sont des gens
qui s'occupent des problèmes que tous le monde sait résoudre, et des problèmes
que personne ne résoudra jamais. » ou plus cruellement encore : « Les philosophes
sont des gens qui, dans une chambre noire, cherchent un chat noir qui n'y est pas,
et qui le trouvent.»
(p.45)
- Un beau raisonnement mathématique est comparable à un concerto de Bach ou à un ballet
harmonieux.
(p.54)
- Je tiens de Danjon une histoire de mathématiciens qui vaut la peine d'être racontée.
Le mathématicien-mécanicien Boussinesq, grand scientifique, perdit autrefois sa femme.
L'enterrement, qui avait commencé par une journée très dégagée, se termina par une
pluie battante. Tout le monde fut trempé. Il se remaria et fut veuf à nouveau. Le même
phénomène météorologique se reproduisit lors des obsèques. Lorsque sa troisième épouse
mourut également, les funérailles se déroulèrent sous un ciel qui resta au beau fixe,
mais tous les universitaires qui y assistaient avaient emporté un parapluie. Emile Borel
(grand manitou des probabilités à la Sorbonne) se tourna vers Polya, mathématicien
étranger qui se trouvait à ce moment là en France, et il lui dit: « Ecoutez, Polya,
n'est ce pas lamentable ? Nous sommes des universitaires, nous ne sommes pas superstitieux,
je suis probabiliste, je sais pertinemment qu'il ne peut exister aucun rapport entre la
pluie et l'enterrement de Mme Boussinesq. Et cependant j'ai apporté mon parapluie.
- Pas du tout, répondit Polya, nous travaillons sur des faits scientifiques. Or c'est un
fait scientifique avéré qu'il pleut souvent à l'enterrement de la femme de Boussinesq. »
(p.156)
- On monte dans l'abstraction à des hauteurs vertigineuses; cela n'est possible que parce
que chaque objet abstrait est devenu concret par l'usage; c'est une question de temps et
d'énergie, mais on y parvient toujours. C'est ce qui fait en revanche
l'immense difficulté de vulgariser les mathématiques. A ce propos, un professeur avait
défini un objet abstrait comme un objet qu'on ne peut ni voir ni toucher, et un objet concret
comme un objet qu'on peut voir et toucher. Oui, avait acquiescé un élève, mon caleçon par
exemple, est concret tandis que le vôtre est abstrait, parce que je ne peux ni le voir
ni le toucher. Plus sérieusement, Un objet concret est un objet abstrait auquel
on a fini par s'habituer.(YF:je mets en gras)
(p.166)
(Editions Odile Jacob. 1997)
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